6/08/2008

Le difficile parcours des médecins traditionnels


Taïwan offre peu d’opportunités à ceux qui désirent poursuivre une carrière dans la médecine chinoise traditionnelle. Les étudiants qui n’ont pas été acceptés dans les écoles insulaires finissent souvent par aller se former sur le continent chinois - pour être de nouveau rejetés à leur retour.

« Les bons remèdes ont un goût amer », affirme un vieux dicton. La plupart des ingrédients qui entrent dans la composition des traitements traditionnels semblent le confirmer !

L’acupuncture - l’insertion de fines aiguilles dans certains points déterminés du corps pour soigner une maladie ou soulager la douleur - est l’une des thérapeutiques chinoises les plus anciennes et les plus fréquemment appliquées. Elle existait avant qu’apparaissent les premiers écrits historiques et beaucoup pensent qu’elle était utilisée par l’Empereur Jaune, l’ancêtre légendaire du peuple chinois. Cette technique s’est répandue sous la dynastie Han (206 av. J.-C. - 220 ap. J.-C.). Elle est restée populaire depuis lors, étant d’utilisation relativement facile, avec peu d’effets secondaires et de nombreuses applications.

La plupart des Chinois savent sans doute peu de choses sur l’histoire ou la théorie de l’acupuncture, mais ils sont très familiers de la vision de patients dont le torse, la tête ou même les paupières sont piqués de petites aiguilles. En fait, l’acupuncture est devenue si commune et si populaire que des médecins occidentaux se sont mis à l’essayer - certains parce qu’ils pensent qu’elle est efficace, d’autres parce qu’ils s’estiment capables d’en expliquer les effets en des termes reconnus par la science moderne.

Mais toutes les thérapies traditionnelles chinoises n’ont pas la même validité scientifique aux yeux de l’Occident. Mettre trois doigts sur le poignet d’un patient pour diagnostiquer sa maladie, par exemple, n’a que peu de sens pour la plupart des praticiens de médecine occidentale. Dire que la maladie est causée par un blocage du chi, ou « énergie vitale », est sans doute moins acceptable encore. Que les Occidentaux rejettent la médecine chinoise parce qu’ils ne lui trouvent aucun fondement scientifique, voilà qui est excusable. Mais que le gouvernement de la République de Chine exerce également une discrimination à son égard - une position qui se reflète dans de nombreuses politiques officielles, donne matière à discussion.

Prenons l’exemple de l’assurance santé. Ce n’est qu’en 1975, soit 25 ans après sa promulgation en 1950, que la médecine chinoise a été couverte par l’assurance des travailleurs. Les fonctionnaires ont même dû attendre encore plus longtemps - trente ans, de 1958 à 1988 - pour que leur système d’assurance inclue ce type de soins. A elle seule, cette situation a constitué un sérieux frein au développement des infrastructures de la médecine traditionnelle.

Selon l’Office de la Santé publique (DOH), Taïwan possède maintenant 79 hôpitaux et plus de 2000 cabinets spécialisés dans la médecine chinoise, soit environ un dixième du nombre des institutions de médecine occidentale. L’an dernier, les soins traditionnels n’ont représenté que 5% seulement de l’ensemble des remboursements médicaux. « Le gouvernement ne considère pas vraiment la médecine chinoise comme une discipline scientifique et il estime pour cette raison qu’elle n’a pas à être remboursée », déclare Lee I-hung, directeur de la polyclinique Means et docteur en médecine chinoise. « Les gens ne s’opposent pas à l’idée de suivre un traitement de médecine traditionnelle, continue-t-il. Mais au vu des coûts, il était logique que beaucoup se tournent vers la médecine occidentale, qui était remboursée. »

Le statut inférieur réservé à la médecine chinoise apparaît encore plus clairement dans le domaine de l’enseignement. Cette situation remonte à 1912, date à laquelle le ministre de l’Education a interdit de façon explicite l’ouverture d’écoles de médecine chinoise. « L’occidentalisation était considérée comme la clef du développement national, de sorte que les étudiants devaient apprendre la science occidentale moderne et rien d’autre, déclare Yun-tson Tsao, directeur de la Division de Médecine chinoise du Comité de la Médecine et de la Pharmacologie chinoises du DOH. La politique du gouvernement montre que la médecine chinoise fut officiellement exclue avant même de se voir accorder la moindre chance. »

Malgré cela, cette discipline a continué à se développer, en particulier parce que ses pouvoirs de guérison étaient traditionnellement transmis de façon informelle d’une génération à l’autre. L’interdiction d’ouvrir des écoles de médecine chinoise a été levée en 1930, mais ce n’est qu’en 1966 que l’Ecole médicale de Chine a créé le premier Département de Médecine chinoise à Taïwan. Elle a attendu jusqu’en 1983 pour mettre en place un programme de troisième cycle. Cette école demeure le seul établissement d’enseignement de la médecine chinoise dans l’île. Chaque année, les 120 diplômés qui ont achevé les sept années du cursus, ainsi que les 100 autres étudiants qui ont terminé le programme de cinq ans qui succède à la licence, tentent l’examen national, dans l’espoir de devenir docteurs en médecine chinoise traditionnelle.

Les étudiants qui ont terminé le cursus de sept ans et réussi l’examen national peuvent aussi tenter une autre épreuve qui leur permettra de pratiquer la médecine occidentale. En effet, cette dernière fait partie intégrante de la formation jusqu’en licence. Il y a cependant une condition : celui qui a réussi aux deux examens doit faire un choix entre l’exercice de l’une ou l’autre de ces disciplines. Les diplômés qui n’ont étudié officiellement que la médecine occidentale, de leur côté, peuvent accumuler 45 unités de valeur en médecine chinoise et passer ensuite un examen qui leur permet d’exercer dans cette discipline.

Il ne fait pas de doute qu’une bonne intention sous-tend ces règlements : permettre une interaction plus poussée entre les techniques médicales chinoise et occidentale. Le résultat, cependant, n’a pas profité à la médecine chinoise. En effet, les diplômés ne se contentent généralement pas d’exercer uniquement dans ce domaine.

Prétendre diagnostiquer une maladie en mesurant simplement le pouls du patient semble absurde à la plupart des Occidentaux. Mais les praticiens de médecine chinoise traditionnelle préfèrent éviter les méthodes trop agressives.

Yun-tson Tsao fait remarquer que, puisque la balance penche en faveur de la médecine occidentale depuis des années, les praticiens qui exercent dans cette discipline sont en général mieux payés, jouissent d’un statut plus élevé, ont accès à des équipements de recherche plus modernes et bénéficient de meilleures chances de promotion. « Les gens savent que dans un hôpital qui pratique la médecine occidentale, ils peuvent continuer à enrichir leur savoir et favoriser le développement de leur carrière, souligne M. Tsao. Avec la médecine chinoise, vous restez au même niveau, depuis le jour où vous accrochez votre plaque jusqu’à celui où vous partez en retraite. » Il n’est donc pas surprenant que plus de 80% des diplômés en médecine chinoise choisissent finalement d’exercer la médecine occidentale. En mars 1998, selon les dernières statistiques disponibles, seulement neuf des plus de 200 diplômés en médecine occidentale, également détenteurs des 45 unités de valeur de médecine traditionnelle, avaient réussi l’examen leur permettant d’exercer la médecine chinoise.

En plusieurs occasions, les députés, les docteurs en médecine occidentale et la communauté des praticiens de médecine chinoise traditionnelle se sont rencontrés pour discuter de la création d’un plus grand nombre de départements de médecine chinoise, ou même, d’une université spécialisée dans ce domaine. Les résultats ont été décevants. Yun-tson Tsao explique que, par le passé, l’ouverture de nouveaux départements au sein d’une université dépendait entièrement du ministère de l’Education. Le « manque d’enseignants qualifiés » était alors la principale excuse avancée pour ne pas créer de faculté de médecine chinoise. Aujourd’hui, alors que les universités sont pourtant maîtresses de la décision en la matière, la situation ne paraît pas s’être améliorée. Toute proposition de création d’un nouveau département doit être approuvée par la faculté de l’université mais, à l’exception de l’Ecole médicale de Chine, les décideurs sont inévitablement issus des départements de médecine occidentale. C’est un cercle vicieux : aucun nouveau département de médecine chinoise ne peut être créé précisément parce qu’il n’en existe pas d’autres. « Quelle probabilité effective y a-t-il de voir ces responsables autoriser l’attribution d’un budget pour la création d’un nouveau département de médecine chinoise ?, demande M. Tsao pour la forme. Même les chances de voir cette proposition inscrite à l’ordre du jour sont très minces. »

Un tiers seulement des quelque 3 300 praticiens de médecine chinoise traditionnelle ont suivi une véritable formation. Ironie du sort, ceux qui réussissent l’examen d’entrée de l’Ecole médicale de Chine et qui passent sept ans dans le Département de Médecine chinoise décident finalement de ne pas exercer dans cette discipline, alors qu’inversement, ceux qui choisissent cette voie ratent souvent l’examen. Pour ces derniers, seul un succès aux examens professionnels peut alors leur permettre de satisfaire leur ambition. Ils doivent acquérir leurs connaissances médicales en fréquentant les cabinets que dirigent parents ou amis, en apprenant par eux-mêmes ou en empruntant n’importe quelle autre filière qui s’offre à eux. Ils passent ensuite un premier examen éliminatoire, organisé tous les trois ans, qui est suivi par un examen spécial destiné aux futurs docteurs en médecine chinoise. De nombreuses écoles de bachotage peuvent les guider dans leur préparation, mais il est aussi difficile de réussir ces tests que d’être admis dans une école de médecine via l’examen de l’université, sinon plus. Les candidats doivent souvent se présenter aux tests de rattrapage organisés les années suivantes.

Frustrés par les difficultés auxquelles ils sont confrontés à Taïwan, de nombreux insulaires désirant poursuivre une carrière dans la médecine chinoise se tournent vers le continent. Un grand nombre de praticiens de la vieille génération s’étaient rendus sur l’autre rive du Détroit pour des études temporaires allant de plusieurs semaines à plusieurs mois. « Ils agissaient surtout par esprit d’opposition au fait que les autorités de Taïpei ne respectaient pas la médecine chinoise traditionnelle, contrairement aux autorités d’en face, affirme Lee I-hung. Pékin y consacrait des fonds et accueillait favorablement les Taïwanais, de sorte qu’il y avait toutes les raisons d’aller y voir de plus près. »

M. Lee souligne que cette ancienne génération pratiquait déjà la médecine traditionnelle à Taïwan et que les voyages sur le continent avaient pour seul objectif d’en apprendre davantage. Les docteurs d’alors ne se préoccupaient pas de savoir si le gouvernement de Taïwan leur accorderait des unités de valeur pour les cours qu’ils auraient suivis là-bas. Mais pour les étudiants qui se sont rendus sur le continent au cours de la décennie passée, l’état d’esprit était bien différent. « Ces jeunes gens apprennent la médecine chinoise parce qu’ils veulent une part du marché local, explique Yun-tson Tsao. Quand la route qui mène au marché est barrée, ils prennent un chemin de traverse. »

Les « déviations » de la profession ont connu des fortunes diverses, tantôt s’élargissant et tantôt se raccourcissant. Mais désormais, peu d’obstacles se dressent devant les citoyens de Taïwan qui veulent se rendre sur le continent, et l’admission dans l’une des universités de médecine chinoise là-bas dépend en général de leurs moyens financiers, tout simplement. A l’heure actuelle, les Taïwanais qui désirent étudier sur l’autre rive du Détroit n’ont même pas à s’inscrire auprès de l’une des administrations de leur gouvernement.

En revanche, les vicissitudes des relations entre les deux côtés du Détroit ont fait que le projet de loi sur la reconnaissance des diplômes du continent ne sera pas voté dans un avenir proche. Ainsi, le gouvernement n’a toujours pas établi de liste définitive des écoles continentales qu’il reconnaîtra. Il faut cependant noter que, s’agissant des études de médecine chinoise, ce même gouvernement envisage une reconnaissance des écoles médicales de Pékin, Shanghai et Canton.

Selon M. Tsao, la différence du système employé sur le continent constitue l’une des principales difficultés. Le cursus y est en général de cinq ans, dont trois pour la maîtrise. Ces deux programmes comprennent, en outre, six mois environ de « cours politiques ». La durée moins longue des études et des critères d’admission différents ont incité les praticiens taïwanais à suggérer au gouvernement d’établir des normes strictes pour vérifier l’adéquation des connaissances et des qualifications médicales acquises sur le continent.

Aux yeux de certains médecins taïwanais traditionnels, cependant, une durée d’études plus courte n’est pas toujours synonyme de formation moins bonne. Lee I-hung a visité la plupart de ces écoles du continent, et il considère que la qualité de l’enseignement qui y est dispensé, ainsi que celle des équipements, est supérieure à celle de Taïwan. « Tout s’explique par des politiques éducatives différentes d’un gouvernement à l’autre, affirme-t-il. Alors que le continent chinois est doté de plusieurs universités d’Etat de médecine chinoise, Taïwan ne possède qu’un département - et c’est une école privée . »

M. Tsao est lui aussi familier des universités et des infrastructures du continent chinois mais, pour lui, le dilemme qualité/quantité revêt une autre signification. S’il admet que les chercheurs sont plus nombreux sur le continent - le rapport arithmétique à la taille de la population y est pour beaucoup , et que donc, les chances d’aboutir à des résultats sont plus élevées -, il fait en revanche remarquer que, s’agissant du développement médical d’ensemble, le continent chinois a entre dix et vingt ans de retard sur Taïwan. M. Tsao ajoute que de nombreux praticiens continentaux de médecine traditionnelle deviennent enseignants grâce à leurs relations politiques influentes plutôt qu’en vertu de leurs mérites professionnels. « Les meilleurs docteurs sont choisis pour s’occuper des responsables haut placés du gouvernement, dit-il. Ils n’ont pas le temps d’enseigner dans les écoles et la plupart d’entre eux n’ont d’ailleurs pas le moindre désir de le faire. »

Tout le monde est d’accord sur un point au moins : les écoles du continent offrent aux Taïwanais un accès plus facile aux études de médecine chinoise. Au cours des quatre ou cinq dernières années, de nombreux jeunes gens ont fait un détour par l’autre rive pour compléter leurs connaissances. Il n’existe pas de statistiques officielles sur le nombre des Taïwanais qui ont été formés sur le continent. M. Tsao estime leur nombre compris entre 3 000 et 5 000 personnes. Leurs diplômes n’ont cependant pas encore été reconnus par le gouvernement de la République de Chine, de sorte que cette formation ne leur a pas permis d’être titularisés. Pour eux, le règlement est le même que pour tous ceux qui ne possèdent pas de diplôme dans cette discipline : ils doivent passer un test d’aptitude, ainsi que l’examen spécial des docteurs en médecine chinoise.

Il était sans doute inévitable que certains d’entre eux commencent à exercer avant d’avoir réussi l’examen. « La situation est la même qu’il y a quelques années, quand les hôpitaux employaient des médecins diplômés d’écoles de médecine philippines non reconnues par le gouvernement, dit M. Tsao. La nouvelle génération se juge apte à exercer parce qu’elle a suivi une formation médicale de niveau universitaire. La question n’est pas de savoir si ces praticiens sont agréés ou pas. »

A l’heure actuelle, le marché joue en faveur de ces « médecins officieux ». Les patients consultent des docteurs qui exercent illégalement parce qu’il n’y a pas assez de médecins traditionnels agréés. Selon l’enquête la plus récente du DOH, Taïwan a besoin d’environ 4 600 praticiens de médecine traditionnelle, soit 2,2 pour 10 000 personnes. Partant de cette constatation, certains observateurs se demandent si l’île réussira à absorber les quelques milliers de médecins supplémentaires formés sur le continent lorsque le gouvernement aura reconnu leurs diplômes. Pour Lee I-hung, le jeu du marché devrait résoudre la question. « Si je me place du point de vue de mon intérêt personnel, l’idéal pour moi est d’être le seul médecin sur la place de Taïwan, afin que tous les patients soient obligés de venir me consulter, dit-il. Mais pour le bien de la médecine, il vaut mieux que l’offre dépasse la demande. Laissons donc la concurrence renforcer la qualité et éliminer les irréguliers. »

Pour l’heure, M. Lee ne croit pas que le gouvernement ou la communauté des spécialistes de médecine traditionnelle soient disposés à laisser les forces du marché assainir la situation. Et il ne semble pas possible qu’une simple séance d’acupuncture puisse stimuler la motivation du gouvernement, ni que quelques interventions chirurgicales suffisent à transformer les mentalités !

P.-S.
par Jim Hwang

Source: chinatown.fr

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

Arts Millénaires de Bien-Vivre et de Bien-Etre

Arts Millénaires de Bien-Vivre et de Bien-Etre

Herbes de Provence